vendredi 23 septembre 2011

"Les gens autour de moi paraissent si raisonnables! La raison de beaucoup me donne le vertige. Je vois d'excellents esprits, des esprits d'élite, maîtres d'eux-mêmes jusqu'à la nausée. Brillants, exemplaires, rassis à souhait, bref, monstrueux d'une certaine façon, car je n'ai pas l'impression que la nature nous destine à être des parangons d'équilibre mental. Les cerveaux carrés me font penser aux pieds atrophiés des Chinoises de jadis, volontairement mutilés pour se conformer à un gabarit idéal. Ils me donnent envie de m'écrier: trop de raison, trop de sang-froid, trop de bride! La raison ne peut rester humaine qu'en laissant un peu de place à la partie approximative et incontrôlée de nous même. Du reste, en y regardant de près, on devine chez ces Maîtres un fatras caché de pulsions ordinaires (égoïsme, vanité) et de motivations mesquines (soif de domination) qui, je le dis franchement, me paraît rassurant. Ils sont déjà intellectuellement supérieurs, si en plus ils étaient inattaquables! On imagine quel prix ils ont dû payer pour chasser le fou qui était en eux. En ce qui me concerne, je donne à mon fou la place qui lui revient, pas toute la maison, bien sûr, mais plus qu'un coin de cave. Vivre avec ce quasi-clandestin pose parfois des problèmes difficiles de cohabitation. Mais je crois que sans lui, je m'ennuierais à périr, au lieu de m'amuser à plaisir jusqu'au moment où le jeu doit cesser sous peine de déraper dangereusement."




Tous fous, Georges Picard